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53J6
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Mercredi 29 7bre 1915.

Ma chère Louisette,

Je t’ai promis, presque solennellement, de te dire la vérité ; je vais m’exécuter, mais en revanche tu m’as donné l’assurance que tu aurais les nerfs solides et le cœur ferme.

Je suis depuis ce matin dans des tranchées conquises depuis 2 jours, l’ensemble de ces tranchées et boyaux forme un véritable « labyrinthe », où j’ai erré 3 heures cette nuit, absolument perdu. Les traces de la lutte ardente y sont nombreuses et saisissantes ; et d’abord elles sont plus qu’à moitié détruites par l’ouragan de mitraille que notre artillerie y a lancé, aussi sont-elles incommodes et horriblement sâles malgré les réparations urgentes que nous y avons faites ; tout y manque : l’eau (propre ou sâle), les boyaux, les latrines ; elles sont à moins de 200 mètres de la 1ère ligne ennemie, avec laquelle elles


communiquent par des boyaux obturés ; elles sont parsemées de cadavres français et allemands ; sans presque me déranger j’en compte bien 20 figés dans les attitudes les plus macabres. Ce voisinage n’est pas encore nauséabond, mais il fait tout de même mal aux yeux ; ce matin, à 5 heures, nous arrivons mouillés et harassés, et j’entre dans le premier abri venu pour me détendre, j’avise une bonne planche, m’y étends, la trouve moelleuse, mais 5 minutes après je m’aperçois qu’elle fait sommier sur 2 cadavres allemands ; et bien, crois-moi, ça fait tout de même quelque chose, au moins la 1ère fois. On marmite fort tout autour de nous, et vraiment c’est parfois un vacarme ; déjà je ne salue presque plus.

Le mal n’est pas là ; il est surtout dans le temps qui est affreux ; depuis trois jours au moins, les rafales de pluie succèdent aux averses ; les boyaux sont des fondrières inommables, où l’on glisse


où l’on se crotte affreusement ; aussi suis-je sâle au superlatif, au moins jusqu’à la ceinture ; mes mains sont boueuses et le resteront jusqu’au départ ; mes souliers sont pleins d’eau ; heureusement le corps est sec, car l’air est presque froid et le ciel livide. Autour de moi les gens font une tête ! Il nous faudra beaucoup de patience et de moral.

Nous sommes coiffés du nouveau casque en tôle d’acier ; c’est lourd et incommode, mais cela donne une sérieuse protection contre les éclats de fusants et contre les ricochets, aussi le porte-t-on sans maugréer.

Nous avons aussi tout un attirail contre les gaz asphyxiants. Mais nous serons mal ravitaillés : un seul repas, de nuit, qui arrivera froid le plus souvent ; et cela s’explique à la fois par la longueur des boyaux et par la difficulté de parcourir une large zone découverte.

A ce tableau un peu sombre, mais véridique,


il convient d’ajouter deux correctifs ; d’abord nous aurons surtout un rôle défensif, nous sommes chargés de mettre en état un secteur très bouleversé ; ensuite les Allemands contre-attaquent peu, par suite du manque d’effectifs et de l’etat de leurs affaires en Champagne. Pour ces 2 raisons il se pourrait très bien que nous n’ayons pas à les regarder dans les yeux ; c’est d’ailleurs le vœu unanime ici.

Ma lettre va t’arriver en pleine période de réinstallation et de soucis ; j’essayerai d’en prendre ma part de loin ; cela me distraira et me fondra un peu plus avec vous. Je te souhaite du calme et du courage pour triompher de ces petites difficultés.

Tu sais combien je t’aime et quels tendres baisers je t’envoie ; partage avec nos chers Petits.

JDéléage

PS. J’approuve absolument ta décision relative à la gentille offre de Catherine

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