Michel Bouillot

Les travaux d’église de Michel BOUILLOT

Un catalogue pour la mémoire

Michel Bouillot est bien connu en Saône et Loire pour les innombrables dessins qu’il a consacrés à l’habitat rural de Bourgogne du Sud et ses célèbres déambulations commentées. Ses cahiers édités par les Foyers ruraux entre 1992 et 2003 constituent des ouvrages de référence, toujours consultés aussi bien pour le plaisir procuré par ses dessins à la plume que pour l’érudition de ses notes. Cette collection rend compte de la variété géographique des formes du bâti, et témoigne aussi de la prédilection qu’il portait à certaines composantes : les lavoirs, les cadoles en sont un exemple. Curieusement, il n’a pas consacré de cahier aux églises de village. Ce n’est pourtant pas faute de s’y être intéressé comme le révèlent les 73 carnets de dessins légués au Musée d’art et d’archéologie de Cluny ; de même, les communications qu’il a délivrées à l’Académie de Mâcon témoignent de sa grande érudition dans le domaine de l’art religieux. La base présentée ici permet de découvrir ses travaux d’église.

Un trésor caché : le fichier de Michel Bouillot

La source principale du catalogue est un fichier manuscrit, non publié, constitué par Michel Bouillot lui-même au début des années 80. Ce fichier, transmis lors de son décès à son ami l’abbé Georges Dufour, est constitué de petites fiches bristol de format A6 numérotées de 1 à 144 où il consigne de manière succincte son activité dans le patrimoine religieux du diocèse, et pour 12 d’entre elles au-delà des frontières du département : 133 églises ou chapelles paroissiales, 33 lieux de culte institutionnels sont ainsi mentionnés. Se révèle ainsi une activité importante déployée sur trois décennies. Trois modalités principales d’interventions s’en dégagent : les réaménagements de chœur, les dessins et cartons pour vitraux ou mobiliers de ferronnerie ou encore sculptures, et des œuvres en propre de l’artiste sous forme de fresques, peintures murales, tableaux aux formats très divers.

Sur cette base, un travail d’inventaire photographique a été réalisé principalement entre 2010 et 2020, en se rendant sur les 166 lieux répertoriés. Cette exploration documentaire a permis au hasard des rencontres locales d’ajouter une trentaine d’autres lieux, soit qu’ils aient été oubliés (très rarement) par l’artiste, soit qu’il y soit intervenu postérieurement à 1980, soit encore qu’une œuvre de l’artiste y ait été déplacée par la suite. Il est fort possible qu’existent ici ou là d’autres œuvres non identifiées.

Une troisième source documentaire est la collection des 73 carnets légués par Michel Bouillot au Musée d’art et d’archéologie de Cluny. Couvrant la période 1949-1993, elle constitue une sorte de journal de bord de la vie de l’artiste. Assemblant croquis, portraits, esquisses, ou encore, notes, ces documents de première main révèlent combien l’art sacré à constitué dès ses débuts un centre d’intérêt majeur, voire essentiel de Michel Bouillot. On y trouve de nombreux « portraits » d’églises, mais aussi des esquisses et des dessins préparatoires à certaines œuvres que l’on reconnaît pour peu qu’on les ait déjà entrevues, car ces études crayonnées sur l’instant ne sont pas toujours légendées.

Une quatrième source provient des artisans avec lesquels il a travaillé dans les églises. René Desroches, ferronnier d’art à Sivignon et Philippe Griot, tailleur de pierre à Cluny ont pu apporter leurs précieuses connaissances. Mais il manque les témoignages des maîtres-verriers, de Raymond Picard notamment, qu’il a associés à nombre de ses réalisations, et décédés depuis.

Un cinquième gisement est constitué par les archives des organismes appelés à donner leur avis sur ces projets : les commissions d’art sacré diocésaines (Dijon et Autun), les Monuments Historiques pour les sites classés (DRAC), les conseils municipaux concernés en tant que propriétaires des églises (archives communales, versées ou non aux archives départementales). Mais force est de constater que ces sources sont souvent inaccessibles ou lacunaires, faute de conditions de conservation adéquates.

Enfin les curés commanditaires des œuvres qui auraient pu apporter des précisons ou des éclairages sur ces réalisations sont à présent décédés, et les cures, le plus souvent vendues depuis, n’ont plus d’archives à livrer. Seuls quelques rares paroissiens très âgés ont pu apporter leur précieux témoignages.

Autrement dit, la mémoire se perd, et c’est bien pour éviter que cette œuvre ne s’efface, avant même d’avoir été reconnue, que ce catalogue a été réalisé.

Une œuvre singulière aux facettes multiples

Une mission

C’est dans son discours en réponse à Lucien Rhéty, lors de l’admission de ce dernier à l’Académie de Mâcon en 1998, que l’on trouve une trace formelle, bien que discrète, de l’origine de cette action au long cours ; évoquant l’abbé Fernand Guimet, Michel Bouillot se souvient : « Lorsqu’il était à Chalon, vicaire de la paroisse Saint-Pierre, ce fut pour moi une rencontre déterminante. Le retrouvant au retour du service miliaire, il était vicaire général à Autun ; c’est à son initiative que j’ai entrepris ces travaux d’église qui nous ont mis en contact (…)». Évocation furtive d’une mission officieuse, semble-t-il, car on n’en trouve pas trace dans les archives diocésaines ; il s’agissait de répondre aux sollicitations des curés confrontés aux dispositions liturgiques issues de Vatican II. En ce début des années 60, l’intérêt de Michel Bouillot pour le patrimoine religieux est déjà établi. Lui-même connaissait un certain nombre de curés en place pour avoir été surveillant et professeur de dessin au séminaire de Rimont dans les années 50. Même si dans son jeune âge, les constructions romanes étaient son domaine de prédilection, il a développé par la suite un intérêt égal pour toutes les formes d’édifices, ne délaissant ni les petites chapelles rurales, invisibles de la route, ni les églises paroissiales rafistolées au fil du temps, dénuées a priori de séduction particulière. Dès ses premiers écrits, il montre une curiosité pour le mode de construction, le parti architectural, mais manifeste tout autant d’intérêt pour leur mobilier et la statuaire, expression de la piété populaire.

Faites d’interventions et de chantiers successifs égrenés sur une longue période – plus de quarante ans – les réalisations de Michel Bouillot dans les églises du diocèse d’Autun peuvent apparaître à première vue comme une collection d’objets hétéroclites, voire anecdotiques. Pourtant une fréquentation dans la durée des lieux concernés permet de découvrir une démarche unifiée par une intention qu’il servira toute sa vie : rendre au patrimoine religieux des paroisses ou des communautés religieuses son rôle liturgique de lieu de célébration et de prière.

Pour ce faire, toutes ses compétences personnelles sont mobilisées : l’amoureux du patrimoine féru d’architecture, –discipline qu’il avait étudiée à l’École Nationale des Beaux-Arts – l’érudit fréquentant musées et bibliothèques, l’artisan curieux de toutes les disciplines possibles (sculpture, ferronnerie, vitrail, ébénisterie, céramique), le dessinateur et peintre dont le regard s’était nourri des déplacements à pied et à mobylette qu’il pratiquait assidûment. Observateur aiguisé d’une plante ou d’une pierre levée rencontrées en chemin, il pouvait tout aussi bien restituer un paysage dans le lointain, captant par tous les temps et en toutes saisons l’infini nuancier des variations de la lumière, consignées parfois en quelques mots sur les pages de ses carnets. Il ne faudrait pas omettre le conteur hors pair qui savait conjuguer savoir et imaginaire aussi bien dans ses dessins qu’au cours de ses célèbres déambulations au cours desquelles il restituait avec truculence l’esprit d’une époque.

Aussi, quand il interviendra dans les églises, il jouera de tout cet éventail de perceptions et de connaissances, cherchant à créer non pas seulement un décor agréable à l’œil, mais une « atmosphère » riche de significations, propice à la célébration pour les hommes du temps présent, le plus souvent avec des moyens très limités, finances paroissiales oblige !

À chaque site son projet : ainsi pourrait être résumée la ligne de conduite de Michel Bouillot. Face à des configurations très diverses, on trouve néanmoins des options communes. S’agissant de réaménager les chœurs des églises pour les adapter à la réforme conciliaire de Vatican II, il fait le choix de la sobriété, privilégiant le réemploi de l’autel en place pour l’avancer à la croisée du transept; l’ambon et le pupitre trouvent leur place de part et d’autre, le plus souvent réalisés en ferronnerie, un chandelier pascal et une croix d’autel élancée complètent le mobilier. Lorsque le fond du chœur est percé d’un vitrail central, il reste le plus souvent nu, mais souvent un grand Christ en croix s’en détache au mur ou en avant de celui-ci ; lorsque le fond est aveugle, il est occupé par une très grande peinture murale ou par un retable en un ou plusieurs panneaux. Par rapport à la physionomie antérieure des lieux, ce choix opère une grande simplification, notamment pour ce qui concerne la statuaire, le plus souvent réinstallée en fonction de la qualité de ses éléments, tantôt mis en valeur dans des autels latéraux ou des niches, tantôt placés sur socles, de manière à ne pas distraire l’attention de la table d’autel, centre de la célébration.

Comme il le résume lui-même : « une pauvreté qui n’est pas indigence, une simplicité qui ne peut être infantile, un renouveau qui n’exige pas l’originalité à tout prix. La sève traditionnelle, franciscaine ou rurale, animera toujours avec bonheur les recherches »

Ses propres œuvres, peintes ou sculptées, sont au service de cette exigence. Plus rares – moins d’une trentaine de lieux en disposent – et bien que parfois spectaculaires ou monumentales, elles sont toujours commandées par le lieu auquel elles sont destinées. Ainsi, les thèmes de ses peintures entretiennent souvent un rapport étroit avec le patronage de l‘église ou la culture du lieu. Figuratives à un moment où l’abstraction s’invite dans l’art sacré, ses compositions mêlent avec naturel personnages d’autrefois et d’aujourd’hui, signifiant ainsi l’universalité et l’atemporalité du message évangélique. La ligne claire, les couleurs souvent éclatantes pourraient faire considérer ces peintures comme naïves, si la rigueur de la construction, la maîtrise de la technique et des styles iconographiques, le soin apporté aux détails qui se révèle à l’examen attentif, ne venaient contredire ce premier jugement.

D’où cette curieuse impression au fil des visites d’une grande variété d’expression associée à un style pourtant reconnaissable. Et se révèle progressivement une œuvre d’une grande ampleur, mais paradoxalement invisible, car éclatée sur de nombreux sites.

Une création collective

Œuvre singulière donc par son ampleur, son intention engagée, son esprit de service, sa constance, elle l’est au moins autant par sa dimension collective : elle se décline en différents corps de métiers et associe d’autres artisans pour pouvoir se déployer. Là aussi, la variété est de mise : pour l’aménagement de la chapelle du collège du Montsac à Saint-Christophe-en-Brionnais, Michel Bouillot définit l’atmosphère intérieure par les murs recouverts de frisette et la charpente apparente, mais ce sont des amis artisans qui conçoivent et réalisent les vitraux et le mobilier liturgique. À Saint-Yan, il redessine l’espace du chœur et crée le mobilier exécuté par d’autres. Le plus souvent l’intervention se limite à quelques touches plus ponctuelles, comme le mobilier de ferronnerie réalisé pour l’église de Santenay, ou bien la série des vitraux de Versaugues. À Digoin, il pilote entièrement le réaménagement intérieur et extérieur de Notre-Dame de la Providence, mobilisant tous les corps de métier. Dans son fichier, Michel Bouillot mentionne souvent le tailleur de pierre et sculpteur Pierre Griot et son fils Philippe, les ferronniers René Desroches et Michel Bouillot, son homonyme installé à Saint-Bonnet-de-Joux, les maîtres verriers Bertrand, Darnis et Picard qui l’ont accompagné dans la durée pour réaliser les autels, tabernacles, croix ou vitraux en fonction des projets.

L’amitié, la joie partagée pour l’Œuvre étaient les ressorts inspirants de ces interventions. Deux formules calligraphiées sur la couverture de deux de ses carnets conservés au musée d’art et d’archéologie de Cluny résument bien cette inspiration constante :

« Fasse la main ce que Cœur sait »

et encore :

« Tout soit toujours nouveau, l’œuvre, le cœur, l’esprit »

L’esprit d’une époque

Bien qu’ancrées dans une tradition artisanale et spirituelle, les interventions de Michel Bouilllot, à l’instar de la réforme liturgique de Vatican II, bousculaient les repères habituels. Heurts et contradictions ont souvent été au rendez-vous et affleurent parfois dans certaines fiches : les Monuments Historiques n’appréciaient pas toujours les propositions de l’artiste et ont parfois bloqué des projets complets dont on aimerait connaître la teneur (Buxy, Anzy-le-Duc). En certains lieux, il a préféré se retirer pour éviter le conflit (Paray-le-Monial). Dans le cas de monuments non classés, il sait se montrer combatif, persuadé du bien fondé de son projet (Rozelay). Les fresques de Burgy, boudées par les habitants, resteront inachevées et seront détruites. Les paroissiens qui avaient financé telle statue de saint(e) n’ont pas toujours accepté de gaîté de cœur de voir l’objet de leur dévotion relégué dans les bas-côtés ou dans la sacristie (Écuelles). Les réalisations finales sont souvent le fruit de tractations et de négociations plus ou moins laborieuses avec le curé (Rully)ou la communauté locale (Digoin).

En genèse dès les années 50, l’œuvre de Michel Bouillot a trouvé à travers la réforme conciliaire de Vatican II un terrain d’expression durable à l’échelle d’une vie d’homme, mais néanmoins circonscrit dans le temps historique. En ce sens, l’œuvre de Michel Bouillot dans les églises représente un témoignage de la nouveauté liturgique et spirituelle imprimée par Vatican II.

Lui-même était sans illusion sur l’avenir des lieux dans lesquels il est intervenu : « Les sanctuaires vénérables que seul leur demi-abandon avait sauvés il y a un siècle sont condamnés maintenant à une ruine inévitable parce qu’il n’y aura jamais assez de crédits pour en assurer l’entretien », ce qui ne l’empêchait pas de servir avec humilité et persévérance « l’épanouissement d’un esprit nouveau dont nous vivons la genèse », en témoin de son temps.

Une œuvre à reconnaître

Disert en ce qui concerne l’habitat rural, Michel Bouillot était remarquablement discret sur son travail dans le patrimoine religieux de Saône-et-Loire, au point que même ceux qui le connaissaient bien, en l’occurrence ses collègues de l’Académie de Mâcon, ont été très surpris de découvrir en 2016 les premières présentations de l’inventaire photographique.

La teneur de ses interventions est en partie responsable de l’ignorance qui entoure son œuvre. En effet, rien n’est plus impalpable qu’un conseil. Les réaménagements de chœur cessent d’être visibles à partir du moment où ils deviennent un environnement familier pour les paroissiens. Au fil du temps, la nouveauté de Vatican II n’en est plus une : qui se souvient encore des célébrations eucharistiques dos au peuple ou des prêches en chaire ?

La discrétion de l’artiste ne facilite pas non plus l’identification de son travail. Même lorsqu’il s’agit de tableaux ou de peintures murales exécutés par l’artiste, ceux-ci ne sont pas toujours signés ni datés. Parfois une discrète feuille de chêne permet de l’authentifier. La lecture des fiches rédigées par Michel Bouillot n’apporte pas toujours la précision attendue : bien souvent la date de réalisation des projets est absente, et Michel Bouillot lui-même émet parfois des doutes sur l’effectivité de la réalisation de tel ou tel projet. L’homme ne se souciait guère de la postérité, dédiant toute son attention à la demande qui lui était adressée sur le moment. Enfin le temps qui passe ouvre les trappes de l’oubli : les mobiliers, –par définition mobiles–connaissent des sorts divers en fonction des goûts des curés qui se succèdent. Certains changent de lieu, perdant du coup le lien avec l’endroit pour lequel ils avaient été conçus. Leur trace s’efface vite et certains curés ont ainsi découvert, en ouvrant leurs portes, des œuvres reléguées dans leurs sacristies.

Les vicissitudes patrimoniales ne font pas moins de dégâts : la majorité des réalisations dans des lieux institutionnels (collèges, hôpitaux, couvents, séminaire) n’est plus visible, leur sort étant lié au devenir de ces sites revendus ou réaménagés, ou encore abandonnés, voire détruits. La perspective n’est pas nécessairement plus heureuse pour les églises paroissiales de village, désormais fermées la plupart du temps, ne recevant les fidèles qu’en de rares occasions.

L’ambition du catalogue présenté ici est de présenter la mesure d’une œuvre singulière et de la sauver de l’oubli avant même d’avoir eu la possibilité d’être reconnue.

Reposant sur les seules informations présentes dans le fichier ou recueillies à l’occasion de l’inventaire photographique, il nécessite des compléments d’information, des vérifications que seuls les témoins de ces installations peuvent apporter. Puisse cette publication les susciter, et qui sait, provoquer de nouvelles découvertes !

Marie-Aude POISSON

Partager sur