Dissidences et indisciplines

Le Creusot un monde sous contrôle mais pas totalement soumis

La Vague, 11 décembre 1917, AD71 M3311

Dissidences et indisciplines

Le Creusot un monde sous contrôle mais pas totalement soumis

La ville est placée sous une surveillance permanente comme le montrent les lettres adressées par le commissaire du Creusot au préfet. Le dossier M3311 des Archives départementales de Saône-et-Loire conserve un grand nombre d’entre elles.

La municipalité, la direction des usines, le gouverneur, le commissaire, le préfet tenaient à ce que l’ordre règne dans le centre industriel : aucune entorse à l’Union sacrée et aucun relâchement dans l’effort productif n’étaient envisageables.

Ce souci a conduit cependant les responsables à faire quelques concessions majeures à l’ordre établi : ainsi, la reconstitution du syndicat des métallurgistes en mai 1916 a-t-elle été tolérée, sans doute comme un mal nécessaire. Mais l’activité syndicale a été fortement encadrée, et surveillée tout comme les débuts d’un mouvement pacifiste amené au Creusot par quelques ouvriers mobilisés. Les qualificatifs précisant l’intitulé de l’hebdomadaire La Vague mentionné dans la lettre du commissaire du 11 décembre 1917 exprimaient au moins deux points particulièrement redoutés : le pacifisme et le socialisme…

Malgré la volonté constante d’encadrer la population, les autorités font face aux transgressions ordinaires, à l’inconduite, à l’indiscipline, relatées dans la presse, dénoncées par P. Ferrier ou conservées dans les archives : la guerre n’abolit pas la vie ordinaire.

Cette thématique est présentée sous la forme d'un abécédaire.

Absinthe et alcool

Le Progrès de Saône-et-Loire, 14 janvier 1915. ADSL  PR 97/76

La répression de la vente d’absinthe et la dénonciation de l’ivresse sont des sujets récurrents dans les informations proposées par Le Progrès de Saône-et-Loire.

Ce combat était mené par l’ensemble des autorités, pour des raisons morales, de tranquillité et de santé publique mais, dans les archives consultées, aucune interrogation sur les raisons pour lesquelles la consommation d’alcool était un fait répandu…

Les mesures d’interdiction, les sanctions sont répétées, multiples tout au long de la guerre : cette répétition montre bien que la législation n’était pas appliquée.

 

p.4 du livret 2 (1915-1916). 

Activité syndicale

3 mai 1916. ADSL M 3311

 

La Première Guerre mondiale fut marquée par la re-création du Syndicat des ouvriers métallurgistes, le 3 mai 1916. Re-création car le syndicat, créé en juin 1899, avait été totalement démantelé après les grèves de juillet 1900.

Affilié à la CGT, le syndicat se montre totalement en accord avec les nécessités de l’effort industriel et des efforts imposés dans le cadre de l’Union Sacrée.

La pratique syndicale fut cependant étroitement surveillée, les réunions faisant l’objet d’autorisation, y compris pour les ordres du jour qui devaient exclure tout ce qui n’était pas du registre de la vie chère et des demandes d’augmentation de salaires.

Les responsables faisaient preuve dans leur courrier d’une grande politesse et d’une grande modération. Moyen d’être entendus et pris au sérieux ? 

 


Conseils de guerre

Le Progrès de Saône-et-Loire, 16 janvier 1916. ADSL, PR 97/78

Désertion, évasion

Le Progrès de Saône-et-Loire, 14 août 1916. ADSL, PR 97/79

Fête nationale empêchée

Le Progrès de Saône-et-Loire,
22 juillet 1917.
ADSL PR 97/81

Grèves ?

Pendant la guerre, on peut considérer qu’il n’y a pas eu de grève au Creusot : dans les sources consultées, aucun mouvement de protestation comparable à ce qui s’est passé ailleurs (particulièrement en 1917). Les conditions de la prise en charge du quotidien par l’entreprise (les différentes formes du paternalisme) et la surveillance constante des autorités sur le site expliquent sans doute cette situation.

Les propos tenus par P. Ferrier dans son journal ne peuvent renvoyer qu’à quelques épisodes comme celui qui est exposé dans l’article du Progrès de Saône-et-Loire du 16 juillet 1916.

Le meilleur démenti à l’agitation locale est d’ailleurs fourni par un autre petit encart du journal : Le Creusot était si calme que ses forces de l’ordre pouvaient être envoyées en renfort à Lyon.

A plusieurs reprises, Eugène II Schneider comme le commissaire central se sont félicité de l’esprit de discipline qui régnait au Creusot.

 

Le Progrès de Saône-et-Loire,
12 juin 1917.
ADSL PR 97/80

Grèves ?

Dans l'épisode de grève des Espagnols, conformément aux pratiques habituelles, c’est l’armée qui est appelée au rétablissement de l’ordre. Celle-ci était présente au Creusot en permanence (même en temps de paix) pour pallier tout risque de révolte ouvrière.

L'article de journal sur la grève de 1917 confirme, si besoin était, l’élévation du coût de la vie et la revendication d’augmentation du salaire correspond à ce qui se produisait également pour les salariés de l’entreprise Schneider. Artisanat et monde de la grande industrie partageaient les mêmes difficultés.

 

p.17 du livret 1 (1914-1915). "l’arrivée du 3e bataillon du 39e Territorial commandé par le chef de bataillon Sinault..."  

p.1 du livret 4 (1917-1918). "Dans notre centre ouvrier, les éléments mauvais ont persisté à jeter le trouble..."

Infanticide

En écho aux préoccupations natalistes et à l’évocation par P. Ferrier de l’augmentation du nombre des avortements, pendant la guerre, cette notice renvoyant, comme toujours dans ces situations, à la question de la situation des femmes confrontées à une maternité qu’elles ne peuvent assumer.

 

Le Progrès de Saône-et-Loire,
23 avril 1917,
ADSL, PR97/80

Infidélités et problèmes conjugaux

Le Progrès de Saône-et-Loire, 3 août 1915. ADSL PR 97/ 77

Jeux douteux

Le Progrès de Saône-et-Loire,
7 juillet 1915.
ADSL, PR 97/77

Outrages et injures

Rixes et bagarres

Le Progrès de Saône-et-Loire, 7 juillet 1917. ADSL, PR 97/81

Le 23 novembre 1916, eut lieu dans l’un des cafés du Creusot une véritable émeute consignée par Pierre Ferrier dans son journal. La bagarre entre quelques Français et des ouvriers Chinois fut telle que l’Académie François Bourdon en a conservé des clichés photographiques (voir ci-après).

Un Chinois perdit la vie, un autre dut passer 23 jours à l’hôpital.

Les trois Français responsables des blessures et du coup de couteau mortel furent traduits en conseil de guerre, comme en témoigne un article du Progrès de Saône-et-Loire paru le 7 juillet 1917. Ils furent acquittés.

 

 

 

p.25 du livret 1 (1914-1915). "il naquit quelque envie, quelque jalousie..."

p.9 du livret 3 (1916-1917)."quelques bagarres, généralement insignifiantes, mais, qui, le 23 Novembre 1916 ont amené la mort..." 

Scandale de moeurs

 p.7 du livret 2 (1915-1916). "On pourrait croire, en lisant les notes qui précèdent, que Le Creusot n’a qu’une préoccupation..."

 

Le Progrès de Saône-et-Loire,
30 octobre 1918.
ADSL PR 97/83

Surveillance policière

9 septembre 1916, page 1/2. ADSL M 3311,

 

Pendant toute la durée de la guerre, le commissariat central du Creusot a adressé en permanence des courriers au préfet pour lui rendre compte de la situation. Le dossier M3311 des Archives Départementales de Saône-et-Loire offre un ensemble de documents passionnants décrivant la façon dont la ville, la population étaient surveillées constamment. Malgré certains propos de P. Ferrier, en dépit de quelques incidents, le calme a régné.

 

 

 

p.26 du livret 1 (1914-1915). "nous avons vu les efforts faits en un coin du pays pour asseoir le désordre..."   

Vols

Mais tout va bien...

« […] Nous avons pu, à l’exception d’un mouvement rapidement calmé au Havre, éviter toute difficulté si préjudiciable à l’effort commun et nous nous faisons un devoir de témoigner une fois de plus devant vous de nos sentiments de satisfaction pour l’entrain et le dévouement que, à tous les degrés de la hiérarchie, ouvriers et employés, notre personnel apporte à surmonter les obstacles que les évènements accumulent sur notre route. »
Extrait ci-contre du rapport présenté par Eugène II Schneider à l’assemblée générale ordinaire de l’entreprise en novembre 1917. 

 

 

Au moment où ces propos furent écrits puis prononcés, le confit n’est pas achevé mais ils n’ont pas été démentis en 1918.

Pour compléter et comprendre la satisfaction du chef d’entreprise : au cours du conflit, le montant des dividendes versé par action est passé de 95 francs en novembre 1916, à 100 en novembre 1915 et 120 en novembre 1918.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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