Verdun : témoignage de Léon Collin

Photographie de Léon Collin (12 NUM 094)
Photographie de Léon Collin (12 NUM 094)

Dans la mémoire collective, la bataille de Verdun (21 février au 18 décembre 1916), dont on commémore cette année le centenaire, tient une place à part. Pour beaucoup, elle représente à elle seule la Grande Guerre. Au terme de dix mois d'âpres combats, le bilan humain de Verdun est terriblement lourd (163 000 tués, plus de 200 000 blessés ou disparus dans le seul camp français) mais s’avère toutefois moins effrayant que celui de la Somme.

Plusieurs des témoignages reçus par les Archives départementales de Saône-et-Loire à l’occasion de la Grande collecte de documents privés sur 1914-1918 évoquent l’enfer de Verdun. Ces contributions, reçues des mains des descendants de soldats originaires du département, peuvent être consultées par extrait sur le site internet europeana 1914-1918 ou in extenso sur le site internet des Archives départementales de Saône-et-Loire.

On présentera ici une page d’un carnet ayant appartenu à Léon Collin (1880-1970), médecin militaire originaire de Crêches-sur-Saône, attaché au début de sa carrière au service médical des bagnes de Cayenne et de Nouméa puis détaché sur le front occidental au service des blessés de la Grande Guerre.

Tenu entre juillet et septembre 1917, ce carnet - communiqué aux Archives 71 par France et Annie, ses petites-filles, nous livre les impressions du médecin en errance dans la ville de Verdun, désertée, dévastée.
A la lecture du court extrait suivant, nous revient en mémoire la formule choisie par Philippe Collin pour dépeindre son grand-père : "inlassablement armé d’un appareil photo et d’un carnet de notes, il n'aura de cesse de décrire et de chercher à témoigner et à comprendre ce qu’il voit".

Philippe Collin a en effet découvert par hasard en 2012 des photos et tapuscrits exceptionnels sur les bagnes de Guyane et de Nouvelle-Calédonie, traversés par son grand-père, médecin militaire (150 photos, le témoignage direct d'un médecin du bagne et de nombreux écrits de forçats). Avec l'historien Jean-Marc Delpech, il a valorisé ces documents dans un livre Dr Léon Collin - Des hommes et des bagnes, éditions Libertaria, 2015. 

Transcription des notes de Léon Collin (Fonds Grande Collecte 1914-1918) -

Mercredi, 18 Juillet [1917].

Deuxième pelerinage.

Solitaire dans la ville morte. Entrée par la porte Chaussée, suivi les quais où se reflète la façade effroyable des maisons. Remonté au dessus de la citadelle et traversée de toute la ville en passant devant la cathédrale. Seuls quelques piaillements de moineaux, quelques grincements de porte poussée par le vent et le bruit résonant de mes pas éclatent dans ce silence qui pèse sur toutes ces demeures abandonnées. La mort, la mort des choses partout. Des relents de papier moisi, de murailles calcinées sortent des maisons éventrées. La tristesse qui émane de ces choses vous étreint. Je me hâte de regagner mon faubourg, pressant le pas à la sortie, toujours marmitée, où je croise des voiturettes piquées de torpilles, qui montent vers Fleury et aux 1ères lignes.

Au soir avec la nuit qui tombe, monte le bruit lointain de mille charettes, qui sont le début de la procession de ravitaillement : ravitaillement en munitions, en vivres, en hommes. C’est l’heure des relèves. Le sifflet strident des locomotives minuscules, qui sortent de leurs trous pour courir sur les Decauville* (les voies de 60, de 90) jusqu’à l’avant, déchirent ce bruit confus et lointain des voitures, et cela dure toute la nuit, à en empêcher de dormir le colonel, qui peste contre ces petites machines, qui ont l’audace de taquiner son sommeil bien avant dans la nuit, après l’éternelle et quotidienne partie de bridge. 

*chemin de fer de faible écartement de la société Decauville

 
Samedi 28 Juillet [1917].

Je me réveille dans la cave après une nuit très agitée.
A 11 heures, hier soir, je lisais dans mon lit des considérations de G. Ferrero sur la guerre lorsque dans un fracas de tonnerre la maison se mit à trembler vivement et s’écroule en partie. Ma porte est arrachée du dehors, comme happée par une force mystérieuse. Je suis dans le platras et les débris de verre.
Qu’y a-t-il donc ? Une bombe d’avion sur la maison ! Je me précipite dans l’escalier. Bouché. Les poutres et la couverture du toit le barrent. Je descends en enjambant la rampe et en me laissant tomber dans l’entrée. Tout le monde est en bas et s’interroge. Les joueurs de bridge anxieux regardent l’horizon où se dessine à travers les lueurs de l’incendie une énorme colonne de fumée noire. C’est un gros dépôt de munitions qui a sauté.
Toutes nos maisons déjà crevées par les obus ont perdu leurs plafonds, portes et ce qui restait de vitres.
Des explosions se succèdent toutes les 5 minutes. On se gare des éclats. Le sinistre prend des proportions effrayantes. Le quartier devient dangereux. Après des heures d’attente dans la cour à contempler l’incendie où les flammes alternent avec les explosions et les projections en feu d’artifice, j’essaie de monter me coucher. Il est 2 heures. Mais les Allemands commencent à arroser le quartier et ses abords. Et cela dure jusqu’au matin. Zut ! Zut ! On est mieux à la cave où l’on peut enfin reposer tranquille une heure ou deux.

 

 

 

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