Les textes secrets du terrier de Bezornay
Avant l’existence du carton, le parchemin* et le papier ont été des matériaux idéaux afin de réaliser de nouvelles reliures. Des milliers de manuscrits médiévaux considérés comme nullius valoris (sans valeur documentaire) ont été réutilisés à cette fin.
Le terrier de Bezornay de 1484 (H SUP CLUNY 115) est un exemple remarquable de ce type de réemploi*.
Situé sur l’actuelle commune de Saint-Vincent-des-Près, le prieuré-doyenné de Bezornay était dès 909 un petit établissement monastique dépendant de l’abbaye de Cluny et établi à proximité de celle-ci.
Les terriers étaient des registres contenant la description des terres possédées par un seigneur, les droits et conditions des personnes ainsi que les redevances auxquelles elles étaient soumises.
Au-delà de la valeur même du terrier, cet ouvrage présente la particularité d’avoir des *plats constitués de 106 documents en papier et en parchemin. Ces textes au contenu très divers proviennent de l’abbaye de Cluny. Leur étude sous l’angle de l’archéologie documentaire est riche d’enseignement.
Pour ce faire, un important travail de restauration a été effectué en 2015 par Blanche Menendez dans le cadre de son mémoire de fin d’études de l’Ecole de Condé. Toute la difficulté de son travail résida dans la dissociation de toutes les pièces de réemploi. Comme pour toute restauration, le corps de l'ouvrage et les plats ont été entièrement démontés, restaurés puis remontés dans une nouvelle reliure.
L’écheveau d’informations contenu dans les plats reste encore aujourd’hui difficile à analyser car les documents sont lacunaires et leur encre est parfois effacée. La majorité a été rédigée entre le XIVe et le XVe siècle, soit peu de temps avant la rédaction du corpus du terrier.
Des 106 documents 77 ont été identifiés. Il s’agit pour la plupart d’actes administratifs mais on trouve également de la correspondance ainsi que des productions littéraires théologiques et philosophiques. Quelques rares documents scientifiques sont impressionnants car rehaussés d’encre rouge. On retrouve aussi un itinéraire pour aller de Cluny à "Saint-Michier". On peut supposer qu’il s’agissait d’une appellation ancienne du Mont-Saint-Michel. Les préoccupations quotidiennes au Moyen Âge ainsi que les pratiques du scriptorium de Cluny resurgissent grâce à cette découverte.
Parmi les autres documents remarquables, on notera la présence de trois feuillets d’un incunable sur Boèce (480-524), philosophe et homme politique latin, ainsi que des fragments d’un manuscrit de la Légende dorée de Jacques de Voragine.
Il existe un autre document qui présente une réutilisation d’un manuscrit médiéval : il s’agit d’un registre de pétitions et d'arrêtés de la commune de Chagny (3 L 55) écrit en partie pendant la période révolutionnaire, entre 1796 et 1802.
* parchemin : peau d'animal non tannée préparée pour l'écriture et la reliure.
* réemploi : réutilisation d’un feuillet imprimé ou manuscrit pour un autre usage. Ici, la confection de la couverture.
* plats : les deux pièces, le plus souvent en carton, recouvrant le livre à l’avant et à l’arrière.