Un enseignement réservé
Longtemps réclamée par le Conseil général, une école ménagère ambulante voit le jour en 1923 en Saône-et-Loire.
Son but ? Donner, sur place, aux jeunes filles de plus de 15 ans une instruction agricole et ménagère qui leur servira à tenir une maison avec ordre et à collaborer à la bonne conduite d'une exploitation rurale.
Itinérante, l'école ouvre sa première session à Lugny où elle fonctionnera pendant quatre mois du 11 mars au 11 juillet 1924.
Parmi les enseignements au programme figurent des cours de cuisine, de repassage, de couture, d'économie domestique, d'hygiène ou encore de puériculture.
Le problème de l'enseignement ménager, extraits d'une communication de M. Labbé appartenant au Conseil supérieur de l'enseignement technique, 1922 (M4391)
1/ L’enseignement ménager est nécessaire à toutes les femmes.
Ainsi compris, l’enseignement ménager a une portée qui ne saurait échapper à personne et il peut rendre à toute jeune fille, « quelle que soit sa condition », les plus inappréciables services.
En lui donnant le goût de ses occupations, il lui en révèle la beauté et aussi la grandeur ; il l’accoutume à réfléchir aux éventualités du lendemain, et à placer l’idéal de sa vie « là où il doit être ». Par là il est un levier d’instruction professionnelle, de formation morale et d’éducation sociale.
« La science du ménage est, pour la jeune fille et pour la femme, un préservatif contre l’ennui, le plus dangereux ennemi du foyer. Celle qui aime les travaux domestiques trouve les journées trop courtes et ne cherche pas au dehors des distractions et des plaisirs quelquefois funestes ; ses occupations, les affections et les joies de sa famille lui suffisent. Or, pour aimer ces travaux, il faut être capable de les bien remplir, il faut y avoir été de bonne heure, non seulement limitée, mais habituée » disait Mlle Degruelle, directrice de l'école pratique de jeunes filles de Rouen.
2/ L’enseignement ménager est aussi d’une grande utilité pour les classes moyennes.
Et remarquons-le bien, cet enseignement n’est indifférent à aucune femme, quelle que soit sa condition sociale. Comme la femme du peuple, la maîtresse de maison a besoin de se rendre compte de l’économie de son intérieur, de l’hygiène de son habitation et des soins que réclament ses enfants.
Aujourd’hui, comme du temps de Mme de Maintenon, « les femmes font et défont les maisons ».
3/ L’enseignement ménager est indispensable aux ouvrières.
Mais combien cet enseignement est-il encore plus nécessaire aux jeunes ouvrières ! Par suite des transformations économiques modernes et du développement de la grande industrie, beaucoup de femmes et de jeunes filles sont détournées de leurs occupations naturelles.
Cela constitue une sorte de danger social qui atteint profondément la famille ouvrière tout entière.
Voici, en effet, une famille composée du père, de la mère et de plusieurs enfants en âge de travailler. Supposons que la mère reste à la maison, ce qui, hélas ! n’est pas toujours vrai. Le père, les garçons et les filles partent le matin à l’usine, reviennent pour le repas de midi, et ne rentrent définitivement que le soir, pour le souper. Les filles, absentes tout le jour, n’ont donc pas l’occasion de se former, même approximativement, même incomplètement, aux travaux de l’intérieur, ni d’apprendre leurs devoirs de bonnes ménagères.
Vient l’époque du mariage, ignorant tout de la tenue d’une maison, la jeune femme ne peut s’acquitter de sa tâche ; les repas sont mal préparés et mal ordonnés ; les vêtements mal soignés, durent moins, la maison, mal entretenue, est moins saine et d’aspect moins agréable ; les ressources provenant du gain du mari sont gaspillées ; si des enfants naissent, ils sont élevés au hasard, sans que la mère se préoccupe de leur donner des soins physiques et moraux rationnels. Dès lors, le mari, qu’aucun attrait ne retient plus au logis, prend le chemin du cabaret où achèvent de disparaître les ressources du ménage. C’est la gêne, sinon la misère.
Alors, les discussions commencent, l’affection disparaît de part et d’autre, le lien familial est dissous et les enfants, en grandissant, n’ont plus sous les yeux que les plus tristes spectacles.
4/ L’école doit répondre à cette nécessité sociale.
Nous nous excusons d’avoir esquissé, après tant d’autres, un pareil tableau, qui n’est que trop fréquent, hélas ! dans les milieux ouvriers. Mais on reconnaîtra avec nous qu’en présence d’un mal social, si grave par ses conséquences, nul ne doit rester indifférent. Il faut agir, et puisque la famille ouvrière moderne ne peut plus être un centre d’éducation ménagère pour les jeunes filles, l’école doit y suppléer de la façon la plus large et plus variée possible.
Il faut donc que nous apprenions à nos ouvrières l’amour du foyer, la pratique d’une sage économie et les moyens d’assurer à ceux dont elles auront la charge, c’est-à-dire à leur mari et à leurs enfants, une alimentation saine et variée, un logement agréable et hygiénique.
Distribuons largement l’enseignement ménager : que toutes nos jeunes filles, selon l’expression de M. Vieillot, soient préparées aux devoirs qui les attendent dans la vie ; qu’elles puissent toutes devenir des ménagères éprouvées et de bonnes mères de famille et songez aux bénéfices de toute nature que la société en retirera !
5/ L’enseignement ménager est un auxiliaire dans la lutte contre l’alcoolisme.
L’enseignement ménager, tel que nous l’envisageons, sera un auxiliaire indirect, mais puissant, dans la lutte contre l’alcoolisme ; en assurant l’hygiène de la maison, en enseignant à la ferme l’art d’orner et d’embellir sa maison, de rendre le logis attrayant, il contribuera à y retenir le mari et à l’éloigner des cabarets néfastes…..
6/ L’enseignement ménager diminue la mortalité infantile.
D’autre part, si le logis est sain, si la mère est instruite de la façon rationnelle d’élever les enfants, la mortalité infantile diminuera. Elle a diminué, déjà, grâce aux progrès de l’hygiène générale ; mais combien pourrait-elle diminuer encore, si la maison était plus salubre, et si les mères savaient….
7/ L’enseignement ménager assure la défense du foyer familial.
Et ce n’est pas tout. En mettant la femme à sa vraie place, en lui enseignant tous ses devoirs, comme ménagère, comme mère, l’enseignement contribuera à assainir le milieu familial en faisant régner la bonne entente entre les parents, car si des discussions éclatent souvent par la faute de l’homme, elles naissent souvent aussi du désordre de la femme, de son manque de soin sur elle-même ou dans la maison, ou de ses dépenses excessives.
La bonne harmonie régnant dans la maison, les enfants n’auront plus sous leurs yeux ces exemples démoralisateurs que donnent les familles désunies ; le foyer sera un milieu sain où les bonnes semences, jetées par les parents et les maîtres, germeront et se développeront pour le plus grand bien de la moralité générale du pays.